Méthanisation : un digestat bien indigeste pour les sols et les eaux(Reporterre 01 2019)

Côté pile, la méthanisation permet de produire du gaz renouvelable et d’assurer aux éleveurs d’importants compléments de revenus. Côté face, elle présente une vraie menace de pollution des sols et d’émission de gaz à très grand effet de serre.

La première chose qui saute aux yeux est le stockage des matières à injecter dans le méthaniseur, aussi appelé « digesteur ». À droite, une montagne de fumier, à gauche un tas de marc de pommes, ici des graisses issues de l’agroalimentaire. Étonnamment, ces tas de déchets ne dégagent pas d’odeur gênante. Vient ensuite le dôme, le couvercle de cette marmite géante qu’est le digesteur. Au nord de Rennes, l’éleveur François Trubert en a deux. « J’ai un digesteur et un post-digesteur. Cela permet d’avoir une fermentation plus longue et d’obtenir un digestat de meilleure qualité », explique ce dernier.

« Consommé par le sol, le digestat s’infiltre vers les cours d’eau et les nappes phréatiques » 

À la sortie du digesteur, il y a, d’un côté, le gaz et la chaleur et, de l’autre, le digestat. Celui-là sera épandu dans les champs comme engrais, ce qu’il est en théorie.

« Le digesteur est un bain de bactéries, dit Marie-Pascale Deleume, membre du groupe méthanisation d’Eaux et rivières de Bretagne. Baignant à 40 °C, elles peuvent même devenir résistantes. » Cela inclut les bactéries, spores, parasites mais aussi les résidus médicamenteux administrés aux élevages…

« Consommer de l’eau bourrée de pathogènes » 

L’enjeu de la qualité des eaux de surface et souterraines est crucial en France. Car plus la qualité de l’eau est dégradée, plus il est onéreux de la rendre potable…

Chauffer les effluents agricoles à 38 °C ne permet pas d’éliminer tous les pathogènes. Certaines bactéries pathogènes, celles capables de sporuler, peuvent ne pas être affectées par la méthanisation et donc se retrouver dans le digestat épandu. Au sol alors de s’adapter pour pouvoir les digérer. Mais rien n’est moins sûr, et il y a fort à parier que ces substances vont s’infiltrer vers les nappes phréatiques.

Nous pourrions donc retrouver des bactéries dans l’eau que nous buvons. Notre corps s’en défendra plus ardemment, il pourrait aussi tomber malade, et aura besoin d’un soutien médicamenteux plus puissant. Les bactéries visées apprendront à résister. C’est ce cycle, que l’on appelle antibiorésistance…

Émission de gaz à très grand effet de serre 

« Si leur méthaniseur leur pète à la figure, ils seront mal ! » Daniel Chateigner, physicien, n’y va pas avec le dos de la cuillère. De fait, l’implantation d’un méthaniseur relève du régime des ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement). En cas d’accident, les conséquences pourraient être rudes. Mais la réglementation a été assouplie en juin 2018. Si le méthaniseur consomme moins de 100 tonnes de matières par jour, un enregistrement auprès de la préfecture suffit. Au-delà, le régime de l’autorisation implique une enquête publique d’un mois pour recueillir l’avis du public. Mais, dans la mesure où un gros méthaniseur de 610 kW consomme 30 tonnes par jour, peu de projets sont désormais concernés par l’enquête publique.

Le physicien explique que la méthanisation est réputée vertueuse pour sa faible émission de gaz à effet de serre, « mais c’est faux ». « Déjà, lorsque les bâches qui couvrent les digesteurs se détériorent, vous avez une fuite de méthane. » L’Irstea nuance et explique que les risques de fuite se situent plutôt au niveau des soupapes de sécurité et des canalisations. L’enjeu est de taille car le méthane a un potentiel de réchauffement 28 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2).

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estime que le taux de fuite potentiel se situe entre 0 et 10 %, mais la faiblesse des données disponibles rend pour le moment l’évaluation délicate.

Mais ce qui préoccupe le plus Daniel Chateigner, c’est le protoxyde d’azote. « Le digestat est très volatil, l’ammoniac se disperse très facilement dans l’air. A son contact, il s’oxyde et va développer du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2. »( Le N2O à forte dose, entraîne l’euphorie et des troubles de la perception visuelle et auditive. Il possède un effet sédatif, et provoque également vertiges, angoisse, troubles digestifs (nausées, vomissements). Enfin, il peut entraîner des troubles neurologiques (tremblements, coordination des mouvements). ) À cela s’ajoute, l’apparition de l’oxyde d’azote, un polluant pris en compte dans les mesures actuelles de la pollution de l’air. Mais aussi, le développement de particules fines.

Pour éviter ces problèmes dus à la volatilité du digestat, certaines mesures sont déjà en vigueur. « Nous recommandons de couvrir les fosses de stockage de digestat, explique Hervé Gorius, conseiller technique la chambre d’agriculture de Bretagne, et d’utiliser des pendillards pour épandre le digestat sur les terres au ras du sol, et éviter ainsi une dispersion. » Des mesures que les chercheurs du CSNM jugent insuffisantes.

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